JUDITH NELSON & PAUL NELSON "Le Silence des ruines"
3 octobre - 2 novembre 2013
JUDITH & PAUL NELSON
le silence des ruines
3 octobre - 2 novembre 2013
vernissage: jeudi 3 octobre 2013
de 18h à 20h
à 19h lecture de poésie de Paul
Nelson
Galerie Ivana de Gavardie
10 rue des Beaux-Arts 75006 Paris
mardi-samedi: 14h30-18h30
contact: Arnaud Lefebvre tél.: +33 (0) 681 334 694
www.galeriearnaudlefebvre.com
Judith Nelson is an artist and Paul
Nelson is a poet. It was David Gordon and Reno Odlin who first mentioned
to me the work of Judith Nelson (in 1996, during an annual meeting in the
memory of Hollis Frampton, organised by David Gordon in Maine). Judith
and Paul came to Paris for a retrospective exhibition of Judith paintings at my
galerie in rue Mazarine (in 2002). At that time they still lived in the north
of Maine, before moving to Hawaii where they live today.
Judith’s work opens a path from
Minimalism. Her earlier Optical paintings developed into reliefs and found
vegetal fragments, patiently put together as autonomous visual
"organisms."
Presumably this exhibition of recent
pieces by Judith Nelson will give the strong feeling of her work a whole, of
which each piece could be only a part.
In 2002, Judith told me I didn’t seem to
mind political dimensions in art. It helped me to see things differently. Her
work may be seen as the beauty in ruin and as environmental statement.
The poems of Paul Nelson are rather
short poems, in any case not long poems. His poems are built precisely through
imagery. Some of his poems « tell » artworks and one poem in the exhibition
will « tell » a work by Judith. His poems are crossed by several moments of
accumulated consciousness and memory, like the place of an experience. It seems
to me his poetry is a form of personal expression and tangible reality
accessible to all.
It is also true of Judith Nelson’s art.
The gesture makes the difference. As in music, the frontier is permeable
between genders and identities that arise at such and such a moment in the mind
or the perception of the viewer.
It is the first time they will have a
dual exhibition at my gallery and I thank them for their help in the
preparation.
Reno Odlin had the idea of this
exhibition.
I invite you to share this moment of
meeting with Judith and Paul Nelson and their recent works. It is a privilege
to attend the interaction of two artists who grew side by side, building a
common life. Maybe art escapes those considerations, but it is our pleasure to
taste it today.
Paul Nelson will read his poetry during
the opening at 7pm.
A catalogue will accompany the show,
with texts of Judith and Paul.
Arnaud Lefebvre
Judith Nelson est artiste et Paul Nelson est poète.
C’était d’abord David Gordon et Reno Odlin qui m’ont parlé du travail de Judith
Nelson (en 1996, à l’occasion d’une rencontre annuelle en mémoire de Hollis
Frampton, organisée par David Gordon dans le Maine). Judith et Paul étaient
venus à Paris pour une exposition rétrospective de la peinture de Judith
organisée rue Mazarine (en 2002). A cette époque ils vivaient encore dans
le nord du Maine avant de déménager à Hawaï où ils habitent aujourd’hui.
L’œuvre de Judith ouvre une voie tracée par le
minimalisme. Sa peinture optique des premiers temps a fait place aux reliefs et
aux fragments végétaux trouvés, patiemment assemblés dans des
« organismes » visuels autonomes.
Probablement cette exposition de pièces récentes de
Judith Nelson donnera la forte impression que son travail est un tout dont
chaque pièce pourrait n’être qu’une partie.
En 2002, Judith m’avait fait la remarque que je ne
semblais pas accorder d’importance à la dimension politique de l’art. Cela m’a
aidé à voir les choses autrement. Son travail peut être interprété comme la
beauté de la ruine et une prise de position environnementale.
Les poèmes de Paul Nelson sont des poèmes assez
courts, en tout cas pas des longs poèmes. Ses poèmes sont construits
précisément d’après un ensemble d’images. Certains de ses poèmes
« disent » des œuvres d’art et l’un d’eux dans l’exposition « dira »
une œuvre de Judith. Ses poèmes sont traversés de différents moments de
conscience et de mémoire accumulées, comme le lieu d’une expérience. Il me
semble que sa poésie est une forme d’expression personnelle et de réalité
tangible accessibles par tous.
C’est aussi vrai de l’art de Judith Nelson.
Le geste fait la différence. Comme dans la musique, la frontière est perméable
entre les genres et les identités, qui surgissent à tel ou tel moment dans la
pensée ou la perception du spectateur.
C’est la première fois qu’une exposition en duo
leur est consacrée à la galerie et je les remercie de leur aide pour la
préparation.
Reno Odlin avait eu l’idée de cette exposition.
Je vous invite à partager ce moment de rencontre
avec Judith et Paul Nelson et avec leurs œuvres récentes. C’est un privilège
d’assister à l’interaction de deux artistes qui ont grandi côte à côte, en
construisant une vie commune. L’art échappe peut-être à ces considérations,
mais c’est notre plaisir de le goûter aujourd’hui.
Paul Nelson lira sa poésie le jour du vernissage à
19h.
Un catalogue de Judith Nelson accompagnera
l’exposition, avec des textes de Judith et de Paul (en anglais et en français).
Arnaud Lefebvre
JUDITH NELSON
THE SILENCE OF RUIN
Since 2002 I have lived en plein air
between the Waianae mountain range and the Mokuleia shore, a long beach from
Ka'ena Point to Hale'iwa. As active contrast to ordinary seasons, this
leafy canopy and vegetation is always growth in tradewind motion and sound, the
rattle of fronds and leaves, shifting shadows, surf.
The detritus that I find is limp or stiff, bleached, burnt.
Silent. Negligible in this radiant environment. The gum tree sheds
its bark, the Opihi its shell, the Poinciana its stems, the Norfolk Pine its
seeds. I make objects that site natural elements in new identities.
My pieces are constructed of red dirt pigment printed with Poinciana pods and
crustaceans on archival handmade papers wrapped, folded, crushed, rolled,
wired. I form cobbled, barely crushed paper surfaces of repetition and
overlap, with pods, stalks, leaves, seeds. Not to replace nature but to
make art that mimes unstable, natural order. Each piece worries the fatigue
of dissolution and becomes a remnant of its origin.
A leaf's leaving the tree does not diminish its identity. Such a
found element still holds a trace of its original form, color, texture.
When natural cycles are not confused by human interference, nature repeats
itself. Seeds, blossoms, barks regenerate the species through cycles and
seasons that are, like tidal wash or wind piles, constellations of
elements. There is serenity in detritus.
It is a challenge to use what is at hand, chosen for a dare to make
the alphabet of each piece.
I alter neither shape nor color. I collect materials as
discovered. I will not carve or paint a found form, because it is perfect
already, character preserved.
A glimpse of a place can elicit a memory from my visual history. I
re-build that recollection, imagining when where and how it inspired my
memory. I shape the pieces from those places. The relief surfaces
of my work bind tactile scale to visual weight, some fragile or tentative, some
sturdy and thick.
Each is composed of patterns altered to echo disturbances like shifting
fault lines as if what's left is worth keeping. When the parts are preserved in
such a chorus, they carry the geologic shift with slice, gouge, crunch,
crumble, squeeze.
A piece can be a fraction of a source, like a stone pried from a desert
cliff. Or, a ritual function. A sighting that suggests larger
thoughts. The buckles and overlaps, tight or haggard, extend
the surface where repetition invites inspection of tension, damage, endurance,
the calm of natural fatigue within the demise of fiber. I fabricate
shredded niches, worn surfaces drained of pigment, with vestigial
elements.
I keep looking to visibly articulate the invisible. A privilege to witness
remnant and make a new remnant in its honor.
Judith Nelson, October 3, 2013
The pieces in this exhibition are unframed without glass to project their
presence into the viewing space.
JUDITH NELSON
LE SILENCE DES RUINES
Depuis 2002, j'habite « en plein air »
entre la chaîne de montagnes Waianae et la rive de Mokuleia, une longue plage
qui va de Ka'ena Point à Hale'iwa. Formant un contraste actif aux saisons
ordinaires, cette canopée et cette végétation feuillues poussent
continuellement dans le mouvement et le bruit du vent alizé, le léger fracas
des frondaisons et des feuilles, des ombres qui bougent et du ressac.
Le détritus que je trouve est flasque ou rigide,
blanchi, brûlé. Silencieux. Négligeable dans cet environnement rayonnant.
L'acacia perd son écorce, l'opihi sa coque, le ponciana ses tiges, le pin
norfolk ses graines. Je fais des objets qui déplacent les éléments naturels
dans de nouvelles identités. Mes pièces sont construites avec des pigments de
poussière rouge imprimés avec des gousses de ponciana et des crustacés sur des
papiers faits main de qualité archive, emballés, pliés, écrasés, roulés, liés
avec du fil de fer. Je forme des surfaces de répétition en papier, maladroites,
à peine écrasées, et les chevauche de gousses, de queues, de feuilles et de
graines. Pas pour me substituer à la nature mais pour faire de l'art qui mime
l'ordre naturel instable. Chaque pièce tourmente la fatigue de la dissolution
et devient un reste de son origine.
Une feuille qui quitte l'arbre ne perd pas en identité.
Un tel élément trouvé conserve encore une trace de sa forme, de sa couleur, de
sa texture d'origine. Quand les cycles naturels ne sont pas perturbés par
l'interférence humaine, la nature se répète elle-même. Les graines, les fleurs,
les écorces régénèrent les espèces à travers des cycles et des saisons qui sont
— comme l'eau de la marée ou les piles du vent — des constellations
d'éléments. Il y a de la sérénité dans le détritus.
C'est un défi de se servir de ce qui est à portée
de main, qui a été choisi par gageure de faire l'alphabet de chaque pièce.
Je ne modifie ni la forme ni la couleur. Je
rassemble les matériaux comme je les découvre. Je ne sculpterais pas, ni ne
peindrais une forme trouvée, parce qu'elle est déjà parfaite, son caractère est
préservé.
Un bref aperçu d'un endroit peut dévoiler une
mémoire provenant de mon histoire visuelle. Je reconstruis la façon dont les
choses se sont passées, en imaginant quand, où, et de quelle manière cela a
inspiré ma mémoire. J'élabore les pièces à partir de ces endroits-là. Les
surfaces en relief de mon travail lient l'échelle tactile au poids visuel,
certaines étant fragiles ou peu affirmées, d'autres étant hardies et épaisses.
Chacune de mes pièces se compose de modèles
modifiés pour faire écho aux perturbations comme des lignes d'erreur
changeantes, comme si ce qui reste valait la peine d'être conservé. Quand les
parties sont préservées dans un chœur tel que celui-là, elles emportent avec
elles le changement géologique fait en tranches, en gouges, en écrasements, en
miettes ou en serrements.
Une pièce peut être une fraction d'une source
d’origine, comme une pierre scrutée de loin dans une falaise du désert. Ou bien
d'une fonction rituelle. Comme un spectacle qui suggère de plus larges pensées.
Les boucles et les chevauchements, serrés ou hagards, étendent la surface là où
la répétition invite à voir de près la tension, le dégât, l'endurance, le calme
de la fatigue naturelle au sein du logement de la fibre. Je fabrique des niches
en lambeaux, des surfaces usées drainées de pigment, avec des éléments de
vestige.
Je continue à me soucier d'articuler visiblement
l'invisible. C’est un privilège d'être témoin du résidu et de faire un nouveau
résidu en son honneur.
Judith Nelson, 3 octobre 2013
Les pièces dans cette exposition n'ont ni cadres ni
vitres afin de projeter leur présence dans l'espace du spectateur.
PAUL NELSON
THE LINE IS STRONG AND THE ESCAPE
IS THIN
—Arnaud
Lefebvre
For some of us, the word
“civilization” professes our sometimes sophisticated habit of living by
revisable laws and questionable customs, all the while disbelieving,
individually, in the fruitful eventuality of reason. Given our history of
slaughter and environmental degradation, reason has never prevailed. In that
failure lies a thin, paradoxical life for poetry and painting to embody love of
being within usual terror.
I think of Goya’s “black period.”
They say so, but he was not
mad.
When asked
“What are you painting?” a painter answered “paint.” A useful obfuscation
because writing poetry mixes words, evoking colors, touch, scent, visuals, sounds
…music. Interpretation of poetry emerges from the way words expose or suggest
images in the writer’s and reader’s subconscious. A fine poem can elicit a
life’s mimetic narrative. A book of poems can. My mind works, not linearly, but
elliptically, eclectically, analogically, with revised narrative. As I suppose
Goya’s mind pulled stuff together, with such compression. His “Drowning Dog.”
Memory is fictive. Poetry, from the Greek poieses, “making.” For this poet,
there is no “real” past. The movie in my head is running revision.
If I seriously play, language as
image leads me to form an intuition of a poem, a wholeness. A false faith
maybe, but one that works. Faith is not rational. The process is Aristotelian.
No muse from on high, but a kinesis, as if a poem were an undirected
afterthought to the delight of physically laying down the words, not with
intent to expose foregone ideas of what I might mean at any moment. I like the
word “gist,” from the Old French, “gesir,” to lie. “Gist” is often taken to
mean the essence of a consideration. I lie all the time in order to field an
experience made of words. I don’t work from set ideas. I don’t know clearly
what I feel and mean until I have sorted out a body of word images with
narrative or associative links that express a new awareness, an un-realized
gist, inkling of feeling and ideation …lying myself into and from the
image I begin with. This is not mendacity, “mentir.”
The image perhaps lurks, emerges,
as it might with the application of color or materials one happens to mix with
some fine intuition or emotion, or the waft of charcoal on handmade paper, or
the incisiveness of a pencil line as one draws in modest confusion. Layers,
folds of paper, natural detritus, words that have their own origins. One image
can lead to another in what seems disparate relation, to invent an expanded,
excited context or metaphor coming to what seems a new integrity, which I hope
leaves the experience open, however leading. Like a fabulous lie. Robert Frost
said, “No surprise for the writer, none for the reader.”
If I say that the bark of a tree
feels gray to the whorls of my finger tips a reader might take it to mean that
the tree’s bark is dead, or a beech tree. That is the fineness of a reader’s
freedom. That a writer feels the bark is gray may imply that he is feeling
gray….worn, sick, quieter, less sanguine, say, than “blue.” One can live by
fine images. Eventually, a good poem or painting has told the artist what it
wants to be. It goes free of the artist. A whole poem may be generated by the
word “whorls.” A coiled sensibility. A gyre? A rhyme with “world.”
William Carlo William’s “…red
wheelbarrow glazed with rain water beside the white chickens” does more than
sit there; it lets me feel that the poet loves vivacity more than ideas about
or suggested by experience. He doesn’t need to say anything with this image.
Though he did, prefacing it with the instructive “Everything depends upon…” No
one really needs that phrase meaning no escape. I look for implicit dynamic in
paintings as well. Poetry for me is not “about” anything, at least right away.
It remains more experience than about it. If it is a vital experience it will
cause reflection. WCW’s homely images put aside “loveliness.” A fine image can
feel like a gist, an interesting lie that trails or blooms into reverie,
redolent as the finish in a mouthful of fine wine.
One way poets lie is to
exaggerate. Homer turned water to wine to blood with his “wine dark sea,” the
strong line that works without The Iliad’s context. Poets are in love with
exaggeration. Sylvia Plath’s “Daddy, Daddy, old black shoe …” in which she, as
a child, felt like a foot. I wrote: “A lame raven, black pickaxe on snow,
shatters ceramic apples.” The music came with the visuals. Poets can feel
like lame ravens. Or pickaxes. Or see poems as cold, hard apples.
Interpretations are merely plausible. “The escape is thin.”
PAUL NELSON
LA LIGNE EST FORTE ET L'ÉCHAPPATOIRE EST MINCE
— Arnaud Lefebvre
Pour quelques-un·e·s d'entre nous, le mot
"civilisation" professe la façon parfois sophistiquée que nous avons
de vivre selon des lois révisables et des coutumes contestables, tout le temps
incrédules, pris individuellement, de ce que la raison peut avoir de fructueux.
Étant donné notre passé de massacres et de dégradations environnementales, la
raison n'a jamais prévalue. Dans cet échec demeure une vie mince et paradoxale
pour la poésie et la peinture, qui donne corps à l'amour des choses et des gens
à l'intérieur de la terreur habituelle.
Je pense à la "période noire" de Goya.
Ils disent que si, mais il n'était pas fou.
Quand on lui a demandé "Qu'est-ce que vous
peignez" un peintre a répondu "de la peinture". Un
obscurcissement utile parce qu'écrire de la poésie mélange les mots, évocateurs
de couleurs, de toucher, d'odeur, de vues, de sons... de musique.
L'interprétation de la poésie émerge de la manière dont les mots exposent ou
suggèrent des images dans le subconscient de l'écrivain et du lecteur. Un beau
poème peut évoquer le récit mimétique d'une vie. Un livre de poèmes le peut
aussi. Mon esprit fonctionne non pas linéairement mais par ellipses et par
analogies, avec des narrations révisées. De même, je suppose, l'esprit de Goya
tirait des trucs ensemble, avec une telle sorte de compression. Son « Le
Chien ». La mémoire est fictive. La poésie, du grec poieses,
"faire". Pour ce poète il n'y a pas de « vrai » passé. Le
film dans ma tête défile en révision.
Si je joue sérieusement, le langage en tant
qu'images m'amène à former une intuition d'un poème, une totalité. Une fausse
croyance peut-être bien, mais qui marche quand même. La croyance n'est pas
quelque chose de rationnel. Le processus est aristotélicien. Pas de muse venant
d'en haut mais une kinésie, comme si un poème était une arrière-pensée
indirecte du plaisir qu'il y a à coucher physiquement les mots par écrit, sans
intention d'exposer les idées préconçues de ce que je pourrais vouloir dire à
tel ou tel moment. J'aime le mot « gist » (« le point
capital »), qui vient de l'ancien français « gésir », être
étendu. « Gist » est souvent pris pour signifier l'essence d'une
considération. Je couche (« lie ») par écrit tout le temps en sorte
que je campe une expérience faite de mots. Je ne travaille pas à partir d'idées
fixées à l'avance. Je ne sais pas clairement ce que je ressens et veux dire
jusqu'à ce que j'aie trié un corpus de mots-images, avec des liens narratifs ou
associatifs qui expriment une nouvelle conscience, un point capital non pris en
compte, insinuation de sentiment et d'idéation... m’étandant moi-même dans et à
partir de l'image de laquelle je suis parti. Ce n'est pas le mot
« lie », mentir.
L'image se cache peut-être, et émerge, pour ainsi
dire, avec l'application de la couleur ou des matériaux que l'on se trouve à
mélanger suivant une belle intuition ou une belle émotion, ou avec le transport
du fusain sur le papier fait main, ou encore avec la marque incisive d'une
ligne de crayon tandis que l'on dessine en modeste confusion. Les épaisseurs,
les pliages de papier, les détritus naturels, les mots ont leurs propres
origines. Une image peut mener à une autre dans ce qui semble être une relation
disparate, pour inventer un contexte agité et en extension, ou une métaphore,
provenant de ce qui semble être une nouvelle intégrité, qui je l'espère laisse
l'expérience ouverte, quoique principale. Comme un fabuleux coucher. Robert
Frost disait: « Pas de surprise pour celui qui écrit, pas de surprise pour
celui qui lit. »
Si je dis que l'écorce d'un arbre paraît grise aux
enroulements du bout de mes doigts, un lecteur peut comprendre que c’est
l'écorce de l'arbre qui est morte, ou qu'il s'agit d’un bouleau. C'est la beauté
qu'il y a dans la liberté du lecteur. Qu'un écrivain sente que l'écorce est
grise peut vouloir dire que lui-même se sent gris...fatigué, malade, plus
calme, moins sanguin, disons, que « blue » (mélancolique). On peut
vivre de belles images. Finalement, un bon poème ou un bon tableau a dit à
l'artiste ce qu'il voulait être. Il se libère de l'artiste. Un poème entier
peut être généré par le mot "enroulements". Une sensibilité enroulée.
Un tour? Une rime avec « le monde ».
Le « ... la brouette rouge vernissée par l'eau
de pluie à coté des poulets blancs » de William Carlos William fait plus
que trouver place ici; il me donne la sensation que le poète a des sentiments
plus profonds pour la vivacité que pour les idées portant sur quelque chose ou suggérées
par l'expérience. Il n'a pas besoin de dire quoi que ce soit avec cette image.
Bien qu'il l'ait fait, préfaçant cela avec l'instructif "Tout dépend de
...". Personne n'a vraiment besoin de cette phrase signifiant que c'est
sans échappatoire. Je cherche de même une dynamique implicite dans les
peintures. La poésie pour moi n'est pas "sur" quoi que ce soit, au
moins dans l'immédiat. Elle reste davantage une expérience qu'un sujet
d'expérience. Si c'est une expérience vitale, elle provoquera une réflexion. Les
images de tous les jours de William Carlos William enlèvent leur aspect
charmant aux choses. Une belle image peut avoir l'air du point capital, une
intéressante façon de s’allonger qui traîne ou fleurit en rêverie, parfumée
comme le fini dans une pleine gorgée de bon vin.
Une des manières qu'ont les poètes de s’allonger
est d'exagérer. Homère a changé l'eau en vin et en sang avec son
"mer de vin sombre", la ligne forte qui marche sans le contexte de
L'Iliade. Les poètes sont amoureux de l'exagération. Le "Papa, Papa,
vieille chaussure noire..." de Sylvia Plath, dans lequel comme enfant elle
avait l'impression d'être un pied. J'ai écrit: "Un corbeau boiteux, pioche
noire sur la neige, éclate les pommes en céramique". La musique est venue
avec les visuels. Les poètes peuvent avoir l'impression d'être des corbeaux
boiteux. Ou des pioches. Ou bien voir les poèmes comme des pommes froides et
dures. Les interprétations sont seulement plausibles. "L'échappatoire est
mince."
JUDITH & PAUL NELSON
le silence des ruines
3 octobre - 2 novembre 2013
jeudi
3 octobre 2013 à 19h lecture de poésie de Paul Nelson
« La
poésie pour moi n'est pas "sur" quoi que ce soit, au moins dans
l'immédiat. Elle demeure davantage une expérience qu'un sujet d'expérience. Si
c'est une expérience vitale, elle provoquera une réflexion. Les images de tous
les jours de William Carlos William enlèvent aux choses leur aspect charmant.
Une belle image peut avoir l'air de ce qui compte le plus, une façon
intéressante de mettre par écrit qui traîne ou fleurit en rêverie, parfumée
comme le goût de fini dans une pleine rasade de bon vin. » — Paul Nelson
(…)
because they are so light
and very heavy thereby
nothing to fear in illo tempore
these walls these floors
these frail cliffs with cleft and niche
these inklings
that will never close over
or around you
They too must escape
closure
would leave you free
though thin
(from Paul
Nelson ’Language of Detritus’)
Books of
poetry by Paul Nelson: Cargo, 1972; Ice, 1974; Average Nights, 1977; Days
Off, 1982; The Hard Shapes of
Paradise, 1988; Sea Level, 2008; I Bought Her Juicy, Thin-Skinned
Lemons, 2012
Galerie Ivana de Gavardie
10 rue des Beaux-Arts
75006 Paris
mardi-samedi: 14h30-18h30
contact: Arnaud Lefebvre tél.: +33 (0) 681 334 694
www.galeriearnaudlefebvre.com
Paul Nelson reads his poem “Google, Zoom, Look
Close”
See the video
Presentation by Paul Nelson of his 8 poems in the exhibition / Présentation de Paul Nelson des 8 poèmes qu'il expose:
Inspired by my wife’s artworks, “Language of
Detritus” deals with a viewer’s perceptions or intuitions, thinking that the
works bring back to us something archetypical, geological, biological in
visions of the way remains of nature can organize themselves, or be organized
by an artist, into gists, images that our most ancient, engrammatic memories
retain and recognize.
“Hedgerow” comes from the idea of the “veil” through
which we see most and maybe best, indistinctly, as in St Paul’s “glass
darkly.” Life is in what we
imagine through the hedge, not in what can actually be seen. Do we imagine more truly than when we
attempt to see clearly, pragmatically, hedges down? Do we need hedges? Of course.
“This Raven” is a metaphor for what the poet/artist
does, even when impaired, as I would suggest we all are. We keep working,
“hacking” at a “ceramic apple,” making things of value that seem to have no
appreciable value except in the beauty of the images. Not in this dangerous,
increasingly un-natural world.
“Google, Zoom, Look Close” appreciates the lack of
idealism in Bruegel’s painting. His “infant” has the face of age, illness and
experience, a prediction of Jesus life. This is a tough infant, wise beyond
happiness, incapable of shallow thought, like the usual sense of Beauty. In that, the painting survives Beauty. The poem hopes to
bring that toughness into view of current life, say, the boy from Afghanistan,
who is beyond anger and therefore very dangerous. Can he be distracted, as the dog can? What would the infant say or see? Is he doomed to compassion?
“Nests
Blown Loose” was occasioned by the terrorist act during the recent Boston
Marathon. The athletes were like baby birds, and the storm wind happened in a
town known for patrician attitudes, i.e. Brahmin, upper class, inherited poise and security with its parks and churches. Only a
painter can re-use the nests.
“Tulip Head” is my response to the painting by
Bosch. It registers my will to never have my anxieties removed because it
is they that inspire my poetry. The poem has already frightened other poets
with its adequate humor.
“Aubade,” a sonnet in one sentence, tries to get at
the kind of life that lies behind Goya’s painting, the animal, in this case
reptilian, energy of survival that the dog seems resigned to quit, beyond
struggle. A fearful painting.
“Thaw” attempts to generate a story of what is
“really” going on in the still life depicted by Bruegel’s painting of skaters
on thinning ice. Birds, too, are in danger, though one magpie, a poet maybe,
seems immune to the “thin escape” for all included. Routine life is dangerous
indeed, never idyllic.
Inspiré par l’art de mon épouse, “Langage de détritus”
traite des perceptions ou des intuitions du spectateur, en pensant que les
pièces nous ramènent à quelque chose d’archétypal, de géologique, de biologique
dans les visions de la manière que des restes de la nature peuvent s’organiser
eux-mêmes, ou être organisés par un artiste, en cœur de la chose, en images que
nos mémoires les plus anciennes, les mémoires engrammatiques, retiennent et
reconnaissent.
« Hedgerow » (« Haie ») vient de
l’idée du « voile » à travers lequel nous regardons la plupart du
temps et peut-être le mieux, comme dans le « verre obscurément » de
Saint Paul. La vie est dans ce que nous imaginons à travers la barrière de
protection, pas dans ce qui se présente effectivement à notre vue. Est-ce que
nous imaginons avec plus de vérité que quand nous nous efforçons de voir
clairement, pragmatiquement, toutes barrières baissées ? Est-ce que nous
avons besoins de barrières ? Bien sûr.
« This Raven » est une métaphore pour ce que
fait le ou la poète/artiste, même sans être en pleine possession de ses moyens,
ce que je suggérerais que nous sommes tous. Nous continuons à travailler, à
« taillader » une « pomme en céramique », à faire des
choses de valeur qui semblent ne pas avoir de valeur appréciable hormis la
beauté des images. Pas dans ce monde dangereux, qui est de moins en moins
naturel.
« Google, Zoom, Look Close » apprécie le manque
d’idéalisme dans le tableau de Brueghel. Son « petit enfant » a le
visage de l’âge, de la maladie, et de l’expérience, une prédiction de la vie de
Jésus. C’est un petit enfant dur, sage au-delà du bonheur, incapable de pensée
superficielle, comme le sens habituel de la beauté. En cela, la peinture survit
à la beauté. Le poème espère apporter cette dureté dans la façon de voir de la
vie actuelle, disons, le garçon d’Afghanistan qui est au-delà de la colère et
donc très dangereux. Son attention peut-elle être distraite, comme elle le peut
pour le chien ? Qu’est-ce que le petit enfant dirait ou verrait ?
Est-ce qu’il est voué à la compassion ?
« Nests Blown Loose » (« Nids soufflés en
vrac ») a été fait à l’occasion de l’acte terroriste pendant le marathon récent
de Boston. Les athlètes étaient comme des bébés oiseaux, et la tempête est
survenue dans une ville connue pour ses attitudes patriciennes, c’est-à-dire
des brahmanes, la classe supérieure, assurance et sécurité héritées avec ses
parcs et ses églises. Seul un peintre peut réutiliser les nids.
« Tulip Head » est ma réponse au tableau de
Bosch. Il enregistre ma volonté de ne jamais passer outre mes angoisses parce
que ce sont elles qui inspirent ma poésie. Le poème a déjà effrayé d’autres
poètes avec son humour adéquat.
« Aubade », un sonnet en une phrase, essaye de
parvenir au genre de vie qui se trouve derrière le tableau de Goya, l’animal,
dans ce cas reptilien, l’énergie de survie que le chien semble résigner à
abandonner, au delà de la lutte. Un tableau qui effraye.
« Thaw » (« Le dégel ») tente de
générer une histoire de ce qui se passe « vraiment » dans la nature
morte dépeinte par le tableau de Brueghel des patineurs sur une glace mince.
Les oiseaux aussi sont en danger, même si une pie, un poète peut-être, semble à
l’abri de la « mince échappée » pour le meilleur et pour le pire. La
vie de routine est assurément dangereuse, jamais idyllique.